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bientôt ? c’est ridicule ! Est-ce que vous n’avez pas un médecin dans la coulisse ? vous devez toujours avoir un médecin sur le théâtre.

— Sire, le médecin est là. Il n’ose saigner la cantatrice, dans la crainte de l’affaiblir et de l’empêcher de continuer son rôle. Cependant il sera forcé d’en venir là, si elle ne sort pas de cet évanouissement.

— C’est donc sérieux ! ce n’est donc pas une grimace, au moins ?

— Sire, cela me paraît fort sérieux.

— En ce cas, faites baisser la toile, et allons-nous-en ; ou bien que Porporino vienne nous chanter quelque chose pour nous dédommager, et pour que nous ne finissions pas sur une catastrophe. »

Porporino obéit, chanta admirablement deux morceaux. Le roi battit des mains, le public l’imita, et la représentation fut terminée. Une minute après, tandis que la cour et la ville sortaient, le roi était sur le théâtre, et se faisait conduire par Pœlnitz à la loge de la prima donna.

Une actrice qui se trouve mal en scène n’est pas un événement auquel tout public compatisse comme il le devrait ; en général, quelque adorée que soit l’idole, il entre tant d’égoïsme dans les jouissances du dilettante, qu’il est beaucoup plus contrarié d’en perdre une partie par l’interruption du spectacle, qu’il n’est affecté des souffrances et de l’angoisse de la victime. Quelques femmes sensibles, comme on disait dans ce temps-là, déplorèrent en ces termes la catastrophe de la soirée :

« Pauvre petite ! elle aura eu un chat dans le gosier au moment de faire son trille, et, dans la crainte de le manquer, elle aura préféré se trouver mal.

— Moi, je croirais assez qu’elle n’a pas fait semblant, dit une dame encore plus sensible : on ne tombe pas de cette force-là quand on n’est pas véritablement malade.