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— Non ! jolie comme vous, jolie comme un ange.

Je suis donc jolie, enfin ? Pourquoi mon parrain me trouve-t-il laide ? Il n’est pas comme mamita, qui m’admire en tout ! Décidément, je ne veux plus l’aimer. Je veux penser à mon cher duc. Qui sait — une idée folle ! — si ce n’est pas lui qui est mon père ? Non, c’est impossible ; sa femme n’est pas ma mère, je le sais bien, et, d’ailleurs, ma mère est morte. Mais il pourrait avoir été marié deux fois… Alors pourquoi me cacherait-il que je suis sa fille ? Ah ! peut-être que cette belle dame qu’il a épousée en secondes noces n’a pas voulu qu’il m’élevât dans sa maison. Elle a sans doute d’autres enfants, et elle est jalouse de moi. À présent, elle se sera repentie de sa cruauté et elle vient pour me consoler, en attendant qu’elle me permette de rentrer dans la maison paternelle ! Oui, voilà enfin une supposition assez vraisemblable, après toutes celles que j’ai déjà faites et qui se sont trouvées absurdes. Il est certain que mon père est vivant, parce que mamita, qui ne sait pas, qui ne peut pas mentir, ne m’a jamais dit avec insistance ni avec assurance qu’il fût mort.

Et tous ces cadeaux que je reçois chaque année pour mes étrennes et le jour de ma naissance ? C’est sans doute la duchesse qui me les envoyait pour me dédommager de m’avoir privée des caresses de mon père

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La rêverie, le sommeil ou les larmes avaient interrompu le journal de Morenita ; elle ne le reprit pas les jours suivants. Elle fut assez sérieusement indisposée.

Cette jeune fille éprouvait pour Stéphen une passion naissante dont le début s’annonçait avec la violence qu’elle portait dans tous ses engouements. Mais, malgré la précocité de son développement physique, élevée par madame de Saule, elle avait encore toute l’ignorance de son âge, et donnait encore le nom de tendresse filiale à ce sentiment qui l’agitait.