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Oui, oui, je comprends qu’avec une admiration si constante et si flatteuse auprès d’elle, elle ne désire pas celle des autres et fuie le monde pour se renfermer dans l’amitié. — Mais moi, personne ne m’admire, et je trouve cela fort triste. Mon parrain a eu l’air de me dire aujourd’hui que j’étais vaine. Non, puisque je n’ai pas sujet de l’être. J’aurais besoin d’être tout pour quelqu’un ; je serais tout pour mamita, si elle n’avait pas sa mère, son frère, et mon parrain, qu’elle aime certainement encore plus que moi !


25 septembre.

J’ai essayé aujourd’hui de faire une étude d’après nature de la figure de mon parrain, pendant qu’il lisait. J’étais forcée de le regarder, et, comme il ne me regardait pas, jamais je ne l’ai si bien vu. Je ne sais plus s’il est vieux, comme je me l’étais imaginé à son arrivée ; je crois que c’est parce que je m’étais fait de lui une toute autre idée que je l’ai trouvé ainsi. Aujourd’hui, il m’a semblé jeune, ou tout au moins si beau, qu’il n’a pas besoin de jeunesse. Non, je me trompe encore, il n’est pas beau. Il a une physionomie si expressive, si distinguée, si agréable, qu’il n’a pas plus besoin de beauté que de fraîcheur. Il a beaucoup gagné, d’ailleurs, depuis le peu de jours qu’il est ici. Son teint s’est éclairci, reposé ; son regard a pris une expression plus douce. Un peu plus de toilette aussi a rajeuni sa tournure. Oui, il a tout à fait l’air d’un jeune homme quand il rit : et quelles dents de perles ! Ses yeux sont alors comme ceux d’un enfant ; mais, s’il devient sévère, s’il blâme mes idées, s’il raille mes fantaisies, il est vieux, bien vieux ! Il me fait peur ; mais je ne sais pourquoi je l’aime encore plus après qu’il m’a grondée.