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nière à lui faire perdre le peu de raison qui lui restait. Le pauvre garçon était ivre d’amour. Il ne songeait plus à la botanique, ni à aucune étude ; il ne sortait plus seul que le matin avant le lever de ces dames, et c’était pour rêver sans agir. Quand il paraissait devant elles, ce n’était plus le piéton poudreux et barbu que nous avions pour ainsi dire ramassé sur les chemins ; c’était l’homme le plus soigné, le mieux mis, le plus agréable à voir que l’on puisse imaginer, un véritable cavalier, comme on dit pour désigner un homme fait pour servir et charmer les femmes. Avec sa grande taille, sa belle figure, ses yeux noirs rêveurs ou passionnés, il éclipsait tous les autres gentilshommes, et M. le comte, avec sa maigreur, sa taille un peu voûtée, ses yeux pénétrants, mais durs ou sardoniques, sa mise assez négligée et son peu d’empressement auprès du beau sexe, ne paraissait plus rien du tout.

C’est en servant à table que j’appris à connaître M. le comte. Je dois avouer qu’il était d’un commerce plus intéressant qu’agréable avec les personnes de sa condition ; il avait l’esprit chagrin comme les gens qui souffrent du foie. Très-instruit et doué d’une grande mémoire, il aimait la discussion ; mais il n’y portait pas l’aménité qui la rend supportable aux gens du monde. Il tranchait sur toutes choses d’une façon qui blessait et poussait à la contradiction. Plus fort que ses interlocuteurs,