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franchise ; je ne suis pas malheureux et n’ai guère de fantaisies. Pourtant j’en ai une, qui est de demeurer dans cette ferme, ma vie durant. Vous savez que j’ai choisi cette famille Michelin pour la mienne. J’ai amassé quatre ou cinq sous, et, comme je n’ai pas de descendance, mon frère d’Orléans n’en ayant pas non plus, moi, j’aimerais à mourir ici et à laisser ce que j’ai à un des petits enfants, à votre filleule, ou votre commère, ou le petit Espérance, si sa famille vient à l’abandonner. J’en ai touché deux mots à Michelin et à sa femme, et ils m’ont dit que, si vous approuviez, ils me garderaient ici volontiers. Alors c’est à vous de décider, car, si nous avons déjà parlé de cela en riant, à présent c’est chose sérieuse. J’ai senti mes premiers rhumatismes l’hiver dernier, et je ne veux pas finir dans un fossé. Je pourrai encore courir par le beau temps ; mais, quand viendra la neige, je veux avoir mon gîte comme un vieux lièvre ; ça vous va-t-il ?

Je ne pouvais certes pas refuser, et je montrai même de la joie de pouvoir être agréable à Yvoine ; mais cette apparente insistance à demeurer auprès d’Espérance me donna encore à penser. J’essayai en vain de lui arracher quelque aveu. Je dus reconnaître que, s’il s’était emparé de mon secret, il était plus habile que moi à le garder. Et n’en devait-il pas être ainsi ? N’avait-il pas le beau rôle, le rôle généreux, tandis que, contrairement à ma