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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

çue presque en naissant, sans te demander, enfant ingrat, quelle mère céleste t’avait inoculé cette vie nouvelle, que tes pères n’ont pas eue, et que tu légueras plus large et plus complète à tes enfants lorsque tu l’auras portée en toi et fécondée de ta propre essence. Cette mère de l’humanité, que les bons devraient chérir et vénérer, c’est la philosophie religieuse. Et vous appelez cela le pont aux ânes, au lieu d’avouer que, sans elle, sans cette clarté versée peu à peu, jour par jour en vous, vous seriez des sauvages !

Je vais te poser une question sans réplique. Pourquoi n’es-tu pas un avide et grossier possesseur de terres, dur au pauvre, sourd à l’idée de progrès, furieux contre le mouvement d’égalité qui se fait parmi les hommes ? cependant tu es le contraire de cet homme-là. Qui t’a rendu ainsi ? qui t’a enseigné, dès ton enfance, que l’égoïsme est odieux, et qu’une grande pensée, un beau mouvement du cœur font plus de bien à toi et aux autres que l’argent et la prospérité matérielle ? Est-ce l’idée révolutionnaire répandue en France depuis 93 ? Non, à moins que ce ne fût d’une façon indirecte ; car nous ne la comprenions guère quand nous étions enfants, cette révolution qui inspirait autour de nous tant d’horreur aux uns, tant de regret aux autres. Qui donc détachait mystérieusement nos jeunes âmes de l’égoïsme un peu prêché et un peu déifié, il faut en convenir, dans toutes nos familles ? N’était-ce pas tout bonnement l’idée chrétienne, c’est-à-dire le reflet lointain d’une philosophie antique pas-