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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

devoir et à la vieille et sainte amitié. Je suis un peu inquiète pourtant de ton long silence. Serais-tu plus triste qu’autrefois ? Si tu l’es, pourquoi ne me le dis-tu pas ? Je me flatte aussi parfois de l’idée que tu n’as plus rien à me dire parce que tu es heureux.

Comment ne le serais-tu pas, avec une si admirable compagne, de charmants enfants, tant d’amitiés et d’estimes solides ?

Enfin, quoi que tu aies à me dire, écris-moi. Tu me gâtais autrefois, tu me pardonnais de longs silences, et tu m’en réveillais toujours le premier. Ma paresse à écrire t’a-t-elle découragé ? Non. Tu sais bien que cet affreux métier d’écrivassier vous fait prendre en aversion la seule vue de l’encre et du papier. Et puis, en s’écrivant, on s’explique et on se résume toujours mal. On écrit sous l’impression du moment : triste à la mort. Ce n’est pas toujours vrai ; car, une heure plus tard, on eût été calme et résigné. Ou bien, on se dit plein d’espoir et de force, et ce n’est pas plus vrai ; parce que, une heure plus tôt, on eût été faible et lâche. Quand on se voit, c’est autre chose. On a le temps de se montrer sous tous ses aspects, on se reconnaît, et l’on reçoit une impression plus certaine, plus durable et plus efficace par conséquent. Vraiment, tu devrais bien venir ici. Nous nous en trouverions bien tous deux, et mes enfants auraient tant de joie à te voir ! Laisse-moi dans ce bon rêve et donne-moi l’espoir qu’il se réalisera.