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consuelo.

lée en prairies sur la base des collines inégales qui fermaient l’horizon, s’entr’ouvrant çà et là pour laisser apercevoir derrière elles d’autres gorges et d’autres montagnes plus escarpées et toutes couvertes de noirs sapins. La clarté de la lune à son déclin se glissait derrière les principaux plans de ce paysage triste et vigoureux, où tout était sombre, la verdure vivace, l’eau encaissée, les roches couvertes de mousse et de lierre.

Tandis que Consuelo comparait ce pays à tous ceux qu’elle avait parcourus dans son enfance, elle fut frappée d’une idée qui ne lui était pas encore venue ; c’est que cette nature qu’elle avait sous les yeux n’avait pas un aspect nouveau pour elle, soit qu’elle eût traversé autrefois cette partie de la Bohême, soit qu’elle eût vu ailleurs des lieux très-analogues. « Nous avons tant voyagé, ma mère et moi, se disait-elle, qu’il n’y aurait rien d’étonnant à ce que je fusse déjà venue de ce côté-ci. J’ai un souvenir distinct de Dresde et de Vienne. Nous avons bien pu traverser la Bohême pour aller d’une de ces capitales à l’autre. Il serait étrange cependant que nous eussions reçu l’hospitalité dans quelque grange du château où me voici logée comme une demoiselle d’importance ; ou bien que nous eussions gagné, en chantant, un morceau de pain à la porte de quelqu’une de ces cabanes où Zdenko tend la main et chante ses vieilles chansons ; Zdenko, l’artiste vagabond, qui est mon égal et mon confrère, bien qu’il n’y paraisse plus ! »

En ce moment, ses regards se portèrent sur le Schreckenstein, dont on apercevait le sommet au-dessus d’une éminence plus rapprochée, et il lui sembla que cette place sinistre était couronnée d’une lueur rougeâtre qui teignait faiblement l’azur transparent du ciel. Elle y porta toute son attention, et vit cette clarté indécise augmenter, s’éteindre et reparaître, jusqu’à ce qu’enfin