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consuelo.

trèrent Consuelo jusqu’au fond de l’âme. Sa chanson disait :

« Montagnes noires et montagnes blanches, il vous faudra beaucoup d’eau de la montagne rouge pour laver vos robes :

« Vos robes noires de crimes, et blanches d’oisiveté, vos robes souillées de mensonges, vos robes éclatantes d’orgueil.

« Les voilà toutes deux lavées, bien lavées ; vos robes qui ne voulaient pas changer de couleur ; les voilà usées, bien usées, vos robes qui ne voulaient pas traîner sur le chemin.

« Voilà toutes les montagnes rouges, bien rouges ! Il faudra toute l’eau du ciel, toute l’eau du ciel, pour les laver. »

« Est-ce une improvisation ou une vieille chanson du pays ? demanda Consuelo à sa compagne.

— Qui peut le savoir ? répondit Amélie : Zdenko est un improvisateur inépuisable ou un rapsode bien savant. Nos paysans aiment passionnément à l’écouter, et le respectent comme un saint, tenant sa folie pour un don du ciel plus que pour une disgrâce de la nature. Ils le nourrissent et le choient, et il ne tiendrait qu’à lui d’être l’homme le mieux logé et le mieux habillé du pays ; car chacun se dispute le plaisir et l’avantage de l’avoir pour hôte. Il passe pour un porte-bonheur, pour un présage de fortune. Quand le temps menace, si Zdenko vient à passer, on dit : Ce ne sera rien ; la grêle ne tombera pas ici. Si la récolte est mauvaise, on prie Zdenko de chanter ; et comme il promet toujours des années d’abondance et de fertilité, on se console du présent dans l’attente d’un meilleur avenir. Mais Zdenko ne veut demeurer nulle part, sa nature vagabonde l’emporte au fond des forêts. On ne sait point où il s’abrite la nuit,