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Aussitôt dit, aussitôt fait. Le chêne, depuis ce temps là, avait été nommé le Hussite, la pierre de la citerne, Pierre d’épouvante, et le village détruit sur la colline abandonnée, Schreckenstein.

Consuelo avait déjà entendu raconter dans tous ses détails, par la baronne Amélie, cette sombre chronique. Mais, comme elle n’en avait encore aperçu le théâtre que de loin, ou pendant la nuit au moment de son arrivée au château, elle ne l’eût pas reconnu, si, en jetant les yeux au-dessous d’elle, elle n’eût vu, au fond du ravin que traversait la route, les formidables débris du chêne, brisé par la foudre, et qu’aucun habitant de la campagne, aucun serviteur du château n’avait osé dépecer ni enlever, une crainte superstitieuse s’attachant encore pour eux, après plusieurs siècles, à ce monument d’horreur, à ce contemporain de Jean Ziska.

Les visions et les prédictions d’Albert avaient donné à ce lieu tragique un caractère plus émouvant encore. Aussi Consuelo, en se trouvant seule et amenée à l’improviste à la pierre d’épouvante, sur laquelle même elle venait de s’asseoir, brisée de fatigue, sentit-elle faiblir son courage, et son cœur se serrer étrangement. Non seulement, au dire d’Albert, mais à celui de tous les montagnards de la contrée, des apparitions épouvantables hantaient le Schreckenstein, et en écartaient les chasseurs assez téméraires pour venir y guetter le gibier. Cette colline, quoique très-rapprochée du château, était donc souvent le domicile des loups et des animaux sauvages, qui y trouvaient un refuge assuré contre les poursuites du baron et de ses limiers. L’impassible Frédérick ne croyait pas beaucoup, pour son compte, au danger d’y être assailli par le diable, avec lequel il n’eût pas craint d’ailleurs de se mesurer corps à corps ; mais, superstitieux à sa manière, et dans l’ordre de ses pré-