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consuelo.

XXXV.

Après bien des détours et des retours dans les inextricables sentiers de cette forêt jetée sur un terrain montueux et tourmenté, Consuelo se trouva sur une élévation semée de roches et de ruines qu’il était assez difficile de distinguer les unes des autres, tant la main de l’homme, jalouse de celle du temps, y avait été destructive. Ce n’était plus qu’une montagne de débris, où jadis un village avait été brûlé par l’ordre du redoutable aveugle, le célèbre chef Calixtin Jean Ziska, dont Albert croyait descendre, et dont il descendait peut-être en effet. Durant une nuit profonde et lugubre, le farouche et infatigable capitaine ayant commandé à sa troupe de donner l’assaut à la forteresse des Géants, alors gardée pour l’empereur par des Saxons, il avait entendu murmurer ses soldats, et un entre autres dire non loin de lui : « Ce maudit aveugle croit que, pour agir, chacun peut, comme lui, se passer de la lumière. » Là-dessus Ziska, se tournant vers un des quatre disciples dévoués qui l’accompagnaient partout, guidant son cheval ou son chariot, et lui rendant compte avec précision de la position topographique et des mouvements de l’ennemi, il lui avait dit, avec cette sûreté de mémoire ou cet esprit de divination qui suppléaient en lui au sens de la vue : « Il y a ici près un village ? — Oui, père, avait répondu le conducteur taborite ; à ta droite, sur une éminence, en face de la forteresse. » Alors Ziska avait fait appeler le soldat mécontent dont le murmure avait fixé son attention : « Enfant, lui avait-il dit, tu te plains des ténèbres, va-t’en bien vite mettre le feu au village qui est sur l’éminence, à ma droite ; et, à la lueur des flammes, nous pourrons marcher et combattre. »