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consuelo.

jamais rien entendu de pareil, se tint à quatre pour ne pas sourire à chaque mot. Il ne lui fallut pas écouter quatre mesures pour se convaincre que la jeune baronne n’avait aucune notion vraie, aucune intelligence de la musique. Elle avait le timbre flexible, et pouvait avoir reçu de bonnes leçons ; mais son caractère était trop léger pour lui permettre d’étudier quoi que ce fût en conscience. Par la même raison, elle ne doutait pas de ses forces, et sabrait avec un sang-froid germanique les traits les plus audacieux et les plus difficiles. Elle les manquait tous sans se déconcerter, et croyait couvrir ses maladresses en forçant l’intonation, et en frappant l’accompagnement avec vigueur, rétablissant la mesure comme elle pouvait, en ajoutant des temps aux mesures qui suivaient celles où elle en avait supprimé, et changeant le caractère de la musique à tel point que Consuelo eût eu peine à reconnaître ce qu’elle entendait, si le cahier n’eût été devant ses yeux.

Cependant le comte Christian, qui s’y connaissait bien, mais qui supposait à sa nièce la timidité qu’il aurait eue à sa place, disait de temps en temps pour l’encourager : « Bien, Amélie ! belle musique, en vérité, belle musique ! »

La chanoinesse, qui n’y entendait pas grand’chose, cherchait avec sollicitude dans les yeux de Consuelo à pressentir son opinion ; et le baron, qui n’aimait pas d’autre musique que celle des fanfares de chasse, s’imaginant que sa fille chantait trop bien pour qu’il pût la comprendre, attendait avec confiance l’expression du contentement de son juge. Le chapelain seul était charmé de ces gargouillades, qu’il n’avait jamais entendues avant l’arrivée d’Amélie au château, et balançait sa grosse tête ave un sourire de béatitude.

Consuelo vit bien que dire la vérité crûment serait