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consuelo.

en savourant une large prise de tabac avec complaisance et dignité.

— Dites-moi donc le nom de la créature céleste qui m’a jeté dans de tels ravissements. Malgré vos sévérités et vos plaintes continuelles, on peut dire que vous avez fait de votre école une des meilleures de toute l’Italie ; vos chœurs sont excellents, et vos solos fort estimables ; mais la musique que vous faites exécuter est si grande, si austère, que bien rarement de jeunes filles peuvent en faire sentir toutes les beautés…

— Elles ne les font point sentir, dit le professeur avec tristesse, parce qu’elles ne les sentent point elles-mêmes ! Pour des voix fraîches, étendues, timbrées, nous n’en manquons pas, Dieu merci ! mais pour des organisations musicales, hélas ! qu’elles sont rares et incomplètes !

— Du moins vous en possédez une admirablement douée : l’instrument est magnifique, le sentiment parfait, le savoir remarquable. Nommez-la-moi donc.

— N’est-ce pas, dit le professeur en éludant la question, qu’elle vous a fait plaisir ?

— Elle m’a pris au cœur, elle m’a arraché des larmes, et par des moyens si simples, par des effets si peu cherchés, que je n’y comprenais rien d’abord. Et puis, je me suis rappelé ce que vous m’avez dit tant de fois en m’enseignant votre art divin, ô mon cher maître ! et pour la première fois, moi j’ai compris combien vous aviez raison.

— Et qu’est-ce que je vous disais ? reprit encore le maestro d’un air de triomphe.

— Vous me disiez, répondit le comte, que le grand, le vrai, le beau dans les arts, c’était le simple.

— Je vous disais bien aussi qu’il y avait le brillant, le cherché, l’habile, et qu’il y avait souvent lieu d’applaudir et de remarquer ces qualités-là ?