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consuelo.

s’avança vers Consuelo, qui surprise et terrifiée, la regardait d’un œil hagard sans songer à se lever, lui fit deux révérences, et, après un discours en allemand qu’elle semblait avoir appris par cœur longtemps d’avance, tant il était compassé, s’approcha d’elle pour l’embrasser au front. La pauvre enfant, plus froide qu’un marbre, crut recevoir le baiser de la mort, et, prête à s’évanouir, murmura un remerciement inintelligible.

Quand la chanoinesse eut passé dans le salon, car elle voyait bien que sa présence intimidait la voyageuse plus qu’elle ne l’avait désiré, Amélie partit d’un grand éclat de rire.

« Vous avez cru, je gage, dit-elle à sa compagne, voir le spectre de la reine Libussa ? Mais tranquillisez-vous. Cette bonne chanoinesse est ma tante, la plus ennuyeuse et la meilleure des femmes. »

À peine remise de cette émotion, Consuelo entendit craquer derrière elle de grosses bottes hongroises. Un pas lourd et mesuré ébranla le pavé, et une figure massive, rouge et carrée au point que celles des gros serviteurs parurent pâles et fines à côté d’elle, traversa la salle dans un profond silence, et sortit par la grande porte que les valets lui ouvrirent respectueusement. Nouveau tressaillement de Consuelo, nouveau rire d’Amélie.

« Celui-ci, dit-elle, c’est le baron de Rudolstadt, le plus chasseur, le plus dormeur, et le plus tendre des pères. Il vient d’achever sa sieste au salon. À neuf heures sonnantes, il se lève de son fauteuil, sans pour cela se réveiller : il traverse cette salle sans rien voir et sans rien entendre, monte l’escalier, toujours endormi ; se couche sans avoir conscience de rien, et s’éveille avec le jour, aussi dispos, aussi alerte, et aussi actif qu’un jeune homme, pour aller préparer ses chiens, ses chevaux et ses faucons pour la chasse. »