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derniers cabotins du monde, l’esprit de contradiction et d’indépendance nous susciterait encore des partisans de plus en plus zélés. Il y a tant de gens qui croient se grandir en outrageant les autres, qu’il n’en manque pas qui croient se grandir aussi en les protégeant. Après une douzaine d’épreuves, durant lesquelles la salle sera un champ de bataille entre les sifflets et les applaudissements, les récalcitrants se fatigueront, les opiniâtres bouderont, et nous entrerons dans une nouvelle phase. La portion du public qui nous aura soutenus sans trop savoir pourquoi, nous écoutera assez froidement ; ce sera pour nous comme un nouveau début, et alors, c’est à nous, vive Dieu ! de passionner cet auditoire, et de rester les maîtres. Je te prédis de grands succès pour ce moment-là, cher Anzoleto ; le charme qui pesait sur toi naguère sera dissipé. Tu respireras une atmosphère d’encouragements et de douces louanges qui te rendra ta puissance. Rappelle-toi l’effet que tu as produit chez Zustiniani la première fois que tu t’es fait entendre. Tu n’eus pas le temps de consolider ta conquête ; un astre plus brillant est venu trop tôt t’éclipser : mais cet astre s’est laissé retomber sous l’horizon, et tu dois te préparer à remonter avec moi dans l’empyrée. »

Tout se passa ainsi que la Corilla l’avait prédit. À la vérité, on fit payer cher aux deux amants, pendant quelques jours, la perte que le public avait faite dans la personne de Consuelo. Mais leur constance à braver la tempête épuisa un courroux trop expansif pour être durable. Le comte encouragea les efforts de Corilla. Quant à Anzoleto, après avoir fait de vaines démarches pour attirer à Venise un primo-uomo dans une saison avancée, où tous les engagements étaient faits avec les principaux théâtres de l’Europe, le comte prit son parti, et l’accepta pour champion dans la lutte qui s’établissait entre le