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consuelo.

— Tu as dit le mot, Consuelo, tu as besoin de te connaître. Jusqu’ici tu t’es méconnue en livrant ton âme et ton avenir à un être inférieur à toi dans tous les sens. Tu as méconnu ta destinée, en ne voyant pas que tu es née sans égal, et par conséquent sans associé possible en ce monde. Il te faut la solitude, la liberté absolue. Je ne te veux ni mari, ni amant, ni famille, ni passions, ni liens d’aucune sorte. C’est ainsi que j’ai toujours conçu ton existence et compris ta carrière. Le jour où tu te donneras à un mortel, tu perdras ta divinité. Ah ! si la Mingotti et la Molteni, mes illustres élèves, mes puissantes créations, avaient voulu me croire, elles auraient vécu sans rivales sur la terre. Mais la femme est faible et curieuse ; la vanité l’aveugle, de vains désirs l’agitent, le caprice l’entraîne. Qu’ont-elles recueilli de leur inquiétude satisfaite ? des orages, de la fatigue, la perte ou l’altération de leur génie. Ne voudras-tu pas être plus qu’elles, Consuelo ? n’auras-tu pas une ambition supérieure à tous les faux biens de cette vie ? ne voudras-tu pas éteindre les vains besoins de ton cœur pour saisir la plus belle couronne qui ait jamais servi d’auréole au génie ? »

Le Porpora parla encore longtemps, mais avec une énergie et une éloquence que je ne saurais vous rendre. Consuelo l’écouta, la tête penchée et les yeux attachés à la terre. Quand il eut tout dit : « Mon maître, lui répondit-elle, vous êtes grand ; mais je ne le suis pas assez pour vous comprendre. Il me semble que vous outragez la nature humaine en proscrivant ses plus nobles passions. Il me semble que vous étouffez les instincts que Dieu même nous a donnés, pour faire une sorte de déification d’un égoïsme monstrueux et antihumain. Peut-être vous comprendrais-je mieux si j’étais plus chrétienne : je tâcherai de le devenir ; voilà ce que je puis vous promettre. »

Elle se retira tranquille en apparence, mais dévorée au