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consuelo.

infériorité. Dès ce moment, tout prit à ses yeux un aspect sinistre. Il lui sembla qu’on ne l’écoutait pas, que les spectateurs placés près de lui murmuraient des réflexions humiliantes sur son compte, et que les amateurs bienveillants qui l’encourageaient dans les coulisses avaient l’air de le plaindre profondément. Tous leurs éloges eurent pour lui un double sens dont il s’appliqua le plus mauvais. La Corilla, qu’il alla consulter dans sa loge durant l’entr’acte, affecta de lui demander d’un air effrayé s’il n’était pas malade.

— Pourquoi ? lui dit-il avec impatience.

« Parce que ta voix est sourde aujourd’hui, et que tu sembles accablé ! Cher Anzoleto, reprends courage ; donne tes moyens qui sont paralysés par la crainte ou le découragement.

— N’ai-je pas bien dit mon premier air ?

— Pas à beaucoup près aussi bien que la première fois. J’en ai eu le cœur si serré que j’ai failli me trouver mal.

— Mais on m’a applaudi, pourtant ?

— Hélas !… n’importe : j’ai tort de t’ôter l’illusion. Continue… Seulement tâche de dérouiller ta voix. »

« Consuelo, pensa-t-il, a cru me donner un conseil. Elle agit d’instinct, et réussit pour son propre compte. Mais où aurait-elle pris l’expérience de m’enseigner à dominer ce public récalcitrant ? En suivant la direction qu’elle me donne, je perds mes avantages, et on ne me tient pas compte de l’amélioration de ma manière. Voyons ! revenons à mon audace première. N’ai-je pas éprouvé, à mon début chez le comte, que je pouvais éblouir même ceux que je ne persuadais pas ? Le vieux Porpora ne m’a-t-il pas dit que j’avais les taches du génie ? Allons donc ! que ce public subisse mes taches et qu’il plie sous mon génie. »