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consuelo.

souvent ? Mais tu m’as toujours dit que le public ne s’y connaissait pas ; et quand j’ai su quel succès tu avais remporté chez le comte la première fois que tu as chanté dans son salon, j’ai pensé que…

— Que les gens du monde ne s’y connaissaient pas plus que le public vulgaire ?

— J’ai pensé que tes qualités frapperaient plus que tes défauts ; et il en a été ainsi, ce me semble, pour les uns comme pour l’autre.

— Au fait, pensa Anzoleto, elle dit vrai, et si je pouvais reculer mes débuts… Mais c’est courir le risque de voir appeler à ma place un ténor qui ne me la céderait plus. Voyons ! dit-il après avoir fait plusieurs tours dans la chambre, quels sont donc mes défauts ?

— Ceux que je t’ai dits souvent, trop de hardiesse et pas assez de préparation ; une énergie plus fiévreuse que sentie ; des effets dramatiques qui sont l’ouvrage de la volonté plus que ceux de l’attendrissement. Tu ne t’es pas pénétré de l’ensemble de ton rôle. Tu l’as appris par fragments. Tu n’y as vu qu’une succession de morceaux plus ou moins brillants. Tu n’en as saisi ni la gradation, ni le développement, ni le résumé. Pressé de montrer ta belle voix et l’habileté que tu as à certains égards, tu as donné ton dernier mot presque en entrant en scène. À la moindre occasion, tu as cherché un effet, et tous tes effets ont été semblables. À la fin du premier acte, on te connaissait, on te savait par cœur ; mais on ne savait pas que c’était tout, et on attendait quelque chose de prodigieux pour la fin. Ce quelque chose n’était pas en toi. Ton émotion était épuisée, et ta voix n’avait plus la même fraîcheur. Tu l’as senti, tu as forcé l’une et l’autre ; on l’a senti aussi, et l’on est resté froid, à ta grande surprise, au moment où tu te croyais le plus pathétique. C’est qu’à ce moment-là on ne voyait pas l’artiste inspiré