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disait matériellement la vérité, il y avait tant d’assurance dans ses dénégations que la jalousie de Corilla était vaincue. Enfin le grand jour approchait, et la cabale qu’elle avait préparée était anéantie. Pour son compte, elle travaillait désormais en sens contraire, persuadée que la timide et inexpérimentée Consuelo tomberait d’elle-même, et qu’Anzoleto lui saurait un gré infini de n’y avoir pas contribué. En outre, il avait déjà eu le talent de la brouiller avec ses plus fermes champions, en feignant d’être jaloux de leurs assiduités, et en la forçant à les éconduire un peu brusquement.

Tandis qu’il travaillait ainsi dans l’ombre à déjouer les espérances de la femme qu’il pressait chaque nuit dans ses bras, le rusé Vénitien jouait un autre rôle avec le comte et Consuelo. Il se vantait à eux d’avoir désarmé par d’adroites démarches, des visites intéressées, et des mensonges effrontés, la redoutable ennemie de leur triomphe. Le comte, frivole et un peu commère, s’amusait infiniment des contes de son protégé. Son amour-propre triomphait des regrets que celui-ci attribuait à la Corilla par rapport à leur rupture, et il poussait ce jeune homme à de lâches perfidies avec cette légèreté cruelle qu’on porte dans les relations du théâtre et la galanterie. Consuelo s’en étonnait et s’en affligeait :

« Tu ferais mieux, lui disait-elle, de travailler ta voix et d’étudier ton rôle. Tu crois avoir fait beaucoup en désarmant l’ennemi. Mais une note bien épurée, une inflexion bien sentie, feraient beaucoup plus sur le public impartial que le silence des envieux. C’est à ce public seul qu’il faudrait songer, et je vois avec chagrin que tu n’y songes nullement.

— Sois donc tranquille, chère Consuelita, lui répondait-il. Ton erreur est de croire à un public à la fois impartial et éclairé. Les gens qui s’y connaissent ne sont