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consuelo.

signer cet engagement avant d’avoir essayé mes forces devant le public ; ce ne serait point délicat de ma part. Je peux déplaire, je peux faire fiasco, être sifflée. Que je sois enrouée, troublée, ou bien laide ce jour-là, votre parole serait engagée, vous seriez trop fier pour la reprendre, et moi trop fière pour en abuser.

— Laide ce jour-là, Consuelo ! s’écria le comte en la regardant avec des yeux enflammés ; laide, vous ? Tenez, regardez-vous comme vous voilà, ajouta-t-il en la prenant par la main et en la conduisant devant son miroir. Si vous êtes adorable dans ce costume, que serez-vous donc, couverte de pierreries et rayonnante de l’éclat du triomphe ? »

L’impertinence du comte faisait presque grincer les dents à Anzoleto. Mais l’indifférence enjouée avec laquelle Consuelo recevait ses fadeurs le calma aussitôt.

« Monseigneur, dit-elle en repoussant le morceau de glace qu’il approchait de son visage, prenez garde de casser le reste de mon miroir ; je n’en ai jamais eu d’autre, et j’y tiens parce qu’il ne m’a jamais abusée. Laide ou belle, je refuse vos prodigalités. Et puis je dois vous dire franchement que je ne débuterai pas, et que je ne m’engagerai pas, si mon fiancé que voilà n’est engagé aussi ; car je ne veux ni d’un autre théâtre ni d’un autre public que le sien. Nous ne pouvons pas nous séparer, puisque nous devons nous marier. »

Cette brusque déclaration étourdit un peu le comte ; mais il fut bientôt remis.

« Vous avez raison, Consuelo, répondit-il : aussi mon intention n’est-elle pas de jamais vous séparer. Zoto débutera en même temps que vous. Seulement nous ne pouvons pas nous dissimuler que son talent, bien que remarquable, est encore inférieur au vôtre…

— Je ne crois point cela, monseigneur, répliqua vive-