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consuelo.

de m’appeler ta femme, et je ne t’en voulais pas. Tu m’as souvent dit qu’avant de s’établir, il fallait assurer le sort de sa famille future, en s’assurant soi-même de quelques ressources. Ma mère le disait aussi, et je trouve cela raisonnable. Ainsi, tout bien considéré, ce serait encore trop tôt. Il faut que notre engagement à tous deux avec le théâtre soit signé, n’est-ce pas ? Il faut même que la faveur du public nous soit assurée. Nous reparlerons de cela après nos débuts. Pourquoi pâlis-tu ? Ô mon Dieu, pourquoi serres-tu ainsi les poings, Anzoleto ? Ne sommes-nous pas bien heureux ? Avons-nous besoin d’être liés par un serment pour nous aimer, et compter l’un sur l’autre ?

— Ô Consuelo, que tu es calme, que tu es pure, et que tu es froide ! s’écria Anzoleto avec une sorte de rage.

— Moi ! je suis froide ! s’écria la jeune espagnole stupéfaite et vermeille d’indignation.

— Hélas ! je t’aime comme on peut aimer une femme, et tu m’écoutes et tu me réponds comme un enfant. Tu ne connais que l’amitié, tu ne comprends pas l’amour. Je souffre, je brûle, je meurs à tes pieds, et tu me parles de prêtre, de robe et de théâtre ? »

Consuelo, qui s’était levée avec impétuosité, se rassit confuse et toute tremblante. Elle garda longtemps le silence ; et lorsque Anzoleto voulut lui arracher de nouvelles caresses, elle le repoussa doucement.

« Écoute, lui dit-elle, il faut s’expliquer et se connaître. Tu me crois trop enfant en vérité, et ce serait une minauderie de ma part, de ne te pas avouer qu’à présent je comprends fort bien. Je n’ai pas traversé les trois quarts de l’Europe avec des gens de toute espèce, je n’ai pas vu de près les mœurs libres et sauvages des artistes vagabonds, je n’ai pas deviné, hélas ! les secrets mal cachés de ma pauvre mère, sans savoir ce que toute fille du peuple sait d’ailleurs fort bien à mon âge. Mais je ne