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consuelo.

ne te trouve tellement supérieure à moi, qu’il ne me juge indigne de paraître à côté de toi devant le public. Il ne m’a pas fait chanter ce soir, quoique je m’attendisse à ce qu’il nous demanderait un duo. Il semblait avoir oublié jusqu’à mon existence. Il ne s’est même pas aperçu qu’en t’accompagnant, je touchais assez joliment le clavecin. Enfin, lorsqu’il t’a signifié ton engagement, il ne m’a pas dit un mot du mien. Comment n’as-tu pas remarqué une chose aussi étrange ?

— La pensée ne m’est pas venue qu’il lui fût possible de vouloir m’engager sans toi. Est-ce qu’il ne sait pas que rien ne pourrait m’y décider, que nous sommes fiancés, que nous nous aimons ? Est-ce que tu ne le lui as pas dit bien positivement ?

— Je lui ai dit ; mais peut-être croit-il que je me vante, Consuelo.

— En ce cas je me vanterai moi-même de mon amour, Anzoleto ; je lui dirai tout cela si bien qu’il n’en doutera pas. Mais tu t’abuses, mon ami : le comte n’a pas jugé nécessaire de te parler de ton engagement, parce que c’est une chose arrêtée, conclue, depuis le jour où tu as chanté chez lui avec tant de succès.

— Mais non signé ! Et le tien sera signé demain : il te l’a dit !

— Crois-tu que je signerai la première ? Oh ! non pas ! Tu as bien fait de me mettre sur mes gardes. Mon nom ne sera écrit qu’au bas du tien.

— Tu me le jures ?

— Oh ! fi ! Vas-tu encore me faire faire des serments pour une chose que tu sais si bien ? Vraiment, tu ne m’aimes pas ce soir, ou tu veux me faire souffrir ; car tu fais semblant de croire que je ne t’aime point. »

À cette pensée, les yeux de Consuelo se gonflèrent, et elle s’assit avec un petit air boudeur qui la rendit charmante.