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consuelo.

que tu as débuté chez le comte, tu as eu un succès d’enthousiasme…

— Mon succès auprès du comte est fort éclipsé par le tien, ma chère. Tu le sais de reste.

— J’espère bien que non. D’ailleurs, quand cela serait, nous ne pouvons pas être jaloux l’un de l’autre. »

Cette parole ingénue, dite avec un accent de tendresse et de vérité irrésistible, fit rentrer le calme dans l’âme d’Anzoleto.

« Oh ! tu as raison, dit-il en serrant sa fiancée dans ses bras, nous ne pouvons pas être jaloux l’un de l’autre ; car nous ne pouvons pas nous tromper. »

Mais en même temps qu’il prononça ces derniers mots, il se rappela avec remords son commencement d’aventure avec la Corilla, et il lui vint subitement dans l’idée, que le comte, pour achever de l’en punir, ne manquerait pas de le dévoiler à Consuelo, le jour où il croirait ses espérances tant soit peu encouragées par elle. Il retomba dans une morne rêverie, et Consuelo devint pensive aussi.

« Pourquoi, lui dit-elle après un instant de silence, dis-tu que nous ne pouvons pas nous tromper ? À coup sûr, c’est une grande vérité ; mais à quel propos cela t’est-il venu ?

— Tiens, ne parlons plus dans cette gondole, répondit Anzoleto à voix basse ; je crains qu’on n’écoute nos paroles, et qu’on ne les rapporte au comte. Cette couverture de soie et de velours est bien mince, et ces barcarolles de palais ont les oreilles quatre fois plus larges et plus profondes que nos barcarolles de place. — Laisse-moi monter avec toi dans ta chambre, lui dit-il, lorsqu’on les eut déposés sur la rive, à l’entrée de la Corte-Minelli.

— Tu sais que c’est contraire à nos habitudes et à nos conventions, lui répondit-elle.