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Je fus très-ingrate, car le pauvre garçon, tout en préservant Denise et moi, reçut la première brisée du torrent dans les jambes et fut mouillé jusqu’aux genoux, souillé de limon jusqu’à la ceinture. Il n’en tint compte, et, enchanté de voir que je n’avais pas même reçu une éclaboussure sur ma robe rose, il persista à me porter jusqu’au château, prétendant que je devais être fatiguée. J’étais furieuse et je n’osais résister, car, pour m’élancer à terre ou me débattre, il m’eût fallu salir ma robe contre son vêtement inondé. Je le détestais, et, n’eût été l’horreur que m’inspirait sa chevelure crépue, je lui en eusse arraché une poignée avec plaisir. C’est ainsi que je fis connaissance avec celui qui devait être le meilleur ami de ma jeunesse.

Nous trouvâmes des gens qui venaient à notre rencontre. Ma grand’mère était fort inquiète, elle nous attendait au bas de la terrasse. Denise, qui était fort exagérée en paroles, lui présenta Frumence comme un héros de dévouement qui nous avait arrachées à une mort certaine. Ma bonne maman fit donc grand accueil à Frumence ; elle voulait qu’on le mît dans un lit bassiné et qu’on lui fît un bol de vin chaud. Il remercia en riant, alla se sécher au feu de la cuisine et revint pour prendre congé ; mais c’était l’heure de notre dîner,