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À la suite de toutes ces malices, Marius causait avec moi naturellement des ridicules chimères de l’amour, et il était charmé, disait-il, de me voir si sensée et si positive à cet endroit-là. Le fait est que s’il eût fallu m’inspirer un sentiment tendre, jamais Marius n’en fût venu à bout. Il était trop froid pour l’éprouver et trop ironique pour le feindre ; mais il m’amenait à une théorie qui détruisait tous mes romans de fond en comble. Il me faisait envisager le mariage comme un contrat de paisible amitié dont l’avantage et la dignité consistaient à exclure l’enthousiasme et la passion. Pour lui, la théorie était bien sincère : si son esprit avait vingt-deux ans, son cœur en avait quarante.

J’arrivais à penser comme lui et à perdre l’idéal, pour l’avoir poussé trop loin. Lorsque j’avais voulu me persuader que j’étais supérieure à l’amour, je rendais encore hommage à l’amour, car je croyais m’élever au-dessus d’une grande chose, et maintenant, grâce au ridicule amer de Galathée, qui me présentait la caricature de mon illusion passée, grâce aux terribles sarcasmes de mon cousin sur son compte, je me disais que j’avais méconnu la raison de Frumence, que je n’avais jamais été l’idéal de personne, par la raison qu’il n’y a pas d’amour idéal pour les personnes sensées.