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de remords, des fontaines murmurantes pour recevoir des flots de larmes. Il y avait aussi une consommation exorbitante de poignards, d’héroïnes enlevées et cachées dans des couvents introuvables, de lettres toujours surprises par des traîtres toujours apostés, de reconnaissances inattendues entre la fille et le père, le frère et la sœur, d’amis vertueux, méconnus et justifiés, de jalousies noires et de poisons terribles dont un vieux moine compatissant connaissait toujours l’antidote. La voix du sang jouait toujours un rôle providentiel et amenait des révélations infaillibles dans ces intrigues savantes, percées à jour dès les premières pages. Certes il y a de bons romans, que Frumence n’eût pas craint de mettre entre mes mains un peu plus tard ; mais sans doute miss Agar les savait par cœur, et il fallait à son cerveau émoussé ces excitations vulgaires, comme il faut de grossiers condiments aux appétits blasés.

Cette mauvaise nourriture me fit l’effet du fruit vert, auquel tous les enfants sont portés de préférence. Je dévorai ces romans, tout en les jugeant défectueux de style et remplis de situations invraisemblables. Littérairement parlant, ils furent pour moi très-inoffensifs. Leur moralité était irréprochable ; le seul mal qu’ils me firent fut de m’habituer à aimer les choses hors nature, et, dans le bien