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peut rien contre moi, non, rien. Celui qui croit en toi, Dieu bon, ne croit plus au pouvoir du mal. » — Voilà pour sûr ce que mon biniou disait tout à l’heure. Oh ! c’est qu’il joue tout seul, lui, quand je suis en état de grâce, et j’y suis depuis le jour où j’ai entendu armer le fusil pour me tuer. — Drôle de chose, la mort ! Dire qu’elle est bonne, puisqu’elle nous rend meilleurs,… et nous la craignons pourtant ! On ne sait pas pourquoi on la craint ;… mais on la craint, il n’y a pas à dire. (Descendant la butte.) Voilà enfin tout de même une nuit sans danger. J’ai fait tantôt un bon somme sur la fougère, avec la grosse lune toute blanche au-dessus de ma tête. Il ne fait pas chaud, comme ça, aux approches du matin ; mais de souffler dans ce pauvre biniou, ça m’a réchauffé l’esprit. — Où est-ce que je peux bien être ? Je ne sais plus. La Loire par là ? — ou par là ? — Qu’est-ce que ça me fait ? Je l’ai passée ; les Vendéens l’ont bien passée aussi, mais ils ne me reprendront pas ! Ils ont monté du côté de la Manche, et, moi, j’ai tourné face à l’Océan. Le vent qui en vient me conduit. Il faut que je retourne au pays des grosses pierres. On dit qu’il n’y a plus nulle part ni moines ni couvents. On m’y laissera en paix. Ça n’est pas qu’on soit mal par ici, c’est tout désert. Le pays me plaît ; il paraît bien tranquille… (on entend deux coups de fusil au loin. Il tressaille et écoute.) Plus rien ! C’est quelque braconnier ! Où donc trouver un coin du monde où on n’entendra plus jamais ces maudits coups de fusil ? Il faudra pourtant bien que je le retrouve, car voilà l’hiver qui pique, et Dieu sait si je pourrai continuer à coucher dans les bois ! — Et puis ça m’ennuie quelquefois, de me cacher, de ne rien savoir