frayer, elle s’y jeta en criant : « Eh bien ! mon père ? — Ton père, lui dis-je en l’embrassant, n’est pas là. Il n’est pas plus question de lui que de toi sur la brèche à l’heure qu’il est. Nous avons descendu une douzaine de gendarmes, et voilà tout. La victoire se déclare pour nous comme de coutume. Ainsi ne t’inquiète plus de ton père ; moi, je ne m’inquiète plus des gens du roi. Vivons en paix et fêtons l’amour. » En parlant ainsi, je portai à mes lèvres un broc de vin qui restait sur la table. Mais elle me l’ôta des mains d’un air d’autorité qui m’enhardit. « Ne buvez plus, me dit-elle ; songez à ce que vous dites. Est-ce vrai ce que vous avez dit ? en répondez-vous sur l’honneur, sur l’âme de votre mère ? — Tout cela est vrai, je le jure sur votre belle bouche toute rose, lui répondis-je en essayant de l’embrasser encore. Mais elle recula avec terreur. — Ô mon Dieu ! dit-elle, il est ivre ! Bernard ! Bernard ! souvenez-vous de ce que vous avez promis, gardez votre parole. Vous savez bien à présent que je suis votre parente, votre sœur. — Vous êtes ma maîtresse ou ma femme, lui répondis-je en la poursuivant toujours. — Vous êtes un misérable ! reprit-elle en me repoussant de sa cravache. Qu’avez-vous fait pour que je vous sois quelque chose ? avez-vous secouru mon père ? — J’ai juré de le secourir, et je l’aurais fait s’il eût été là ; c’est donc comme si je l’avais fait. Savez-vous que si je l’avais fait et que j’eusse échoué, il n’y aurait pas eu à la Roche-Mauprat de supplice assez cruel et assez lent pour me punir à petit feu de cette trahison ? J’ai juré assez haut, on peut l’avoir entendu. Ma foi, je ne m’en soucie guère, et je ne tiens pas à vivre deux jours de plus ou de moins ; mais je tiens à vos faveurs, ma belle, et à n’être pas un chevalier langoureux dont on se moque. Allons, aimez-moi tout de suite, ou, ma foi, je m’en retourne là-bas, et, si je suis tué, tant pis pour vous. Vous n’aurez plus de chevalier, et vous aurez encore sept Mauprat à tenir en bride. Je crains que vous n’ayez pas les mains assez fortes pour cela, ma jolie petite linotte.»
Ces paroles, que je débitais au hasard et sans y attacher d’autre importance que de la distraire pour m’emparer de ses mains ou de sa taille, firent une vive impression sur elle. Elle s’enfuit à l’autre bout de la salle, et s’efforça d’ouvrir la fenêtre ; mais ses petites mains ne purent seulement en ébranler le châssis de plomb aux ferrures rouillées. Sa tentative me fit rire. Elle joignit les