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fois, depuis la soirée de la colline, j'ai revu M. de Couaën, mais jamais en Bretagne ; il ne se remit pas à y habiter constamment en effet. Le temps de son permis de séjour expiré, il négligea, malgré les insinuations de M. D..., de réclamer grâce entière. Une sorte d'habitude triste et quelques avantages qu'il y voyait pour sa fille le retinrent à Blois jusqu'à la première Restauration. Aux Cent-Jours, il passa de Bretagne en Angleterre avec sa fille, déjà grande personne et accomplie. Il revit l'Irlande, retrouva les débris de parenté qu'il y avait, ainsi que la famille restante de madame de Couaën. C'est dans ce voyage que la belle Lucy plut extrêmement à un jeune seigneur du pays, fils d'un pair catholique ; elle l'épousa deux ans après, et aujourd'hui elle habite tantôt Londres, tantôt l'Irlande et ce même comté de Kildare. Je lui ai donné en cadeau, lors de son mariage, la ferme de mon oncle avec quelque bout de terre qui en dépendait, ne me réservant viagèrement, de ce côté, qu'un autre petit quartier modique. Elle n'a sans doute attaché que peu de prix à ce don, moins de prix que, moi, je n'y en mettais.

Etant enfant dans le pays, elle ne connaissait pas ce lieu, et peut-être ne le visitera-t-elle jamais ; mais c'est un bonheur indicible pour nous de donner des gages aux enfants des mortes aimées, et de rassembler sur eux des témoignages bien doux, qu'en partie ils négligent et en partie ils ignorent. Un de vos poètes n'a-t-il pas dit :

Les jeunes gens d'un bond franchissent nos douleurs.

Que leur font nos amours !... leur ivresse est ailleurs...

A son retour en France après les Cent-Jours, le marquis refusa de se laisser porter à la Chambre de 1815, de laquelle il eût été nommé tout d'une voix. Il craignait, en présence des griefs et dans le choc de tant de passions, le réveil de ses propres ressentiments et le