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réparer. A la fin, mécontent, blessé d'avoir blessé, je sortis, ne devant pas reconduire ce soir-là madame R. Madame de Couaën, dans le trouble muet où l'avait mise cette scène, me suivit jusque hors de la seconde chambre, au haut du petit escalier. Ce n'était plus la femme calme du matin, dans sa gémissante et tranquille psalmodie. Elle me demandait à mots pressés ce que j'avais contre elle ; à qui j'en voulais ; à quoi j'avais songé ? Sa joue était en feu, elle tenait mes mains, et je lui sentais une agitation extraordinaire. C'était la seconde fois que je l'entrevoyais sous cette lueur enflammée ; la première avait été l'année précédente, dans cette maison de santé du boulevard à quelques paroles sinistres de moi, tandis que le marquis était à écrire. - Je la rassurai à mots aussi confus que les siens, et m'enfuis en proie à mille puissances.

Mais à peine était-elle rentrée (je l'ai su depuis d'elle-même) que, s'adressant à madame R. ou à sa tante, elle dit, par forme de demi-question, que ces dames m'avaient vu bien souvent durant cette longue année, et la tante, sans malice, au lieu de Qui, Souvent, qu'aurait répondu madame R., répondit : “ Oh ! mon Dieu, oui, tous les jours. ” Ce mot fatal précisait tout.

Le lendemain la consultation des médecins avait lieu ; le célèbre Corvisart devait en être. J'allai de bonne heure, un peu timidement, affronter les visages de la veille. Je trouvai à madame de Couaën un air composé et circonspect. Le marquis fut cordial ; je le tirai à part en entrant, et lui exprimai mes franches excuses pour ma conduite du soir, mais bien moins vivement encore que je n'en sentais de honte. Il me semblait lâche et cruel d'avoir pris cette noble colère au dépourvu, de l'avoir fait rentrer en elle sans pitié, et de n'avoir pas respecté un fonds d'inviolable douleur jusque dans cette divagation violente. M. de Couaën m'arrêta court avant que j'eusse fini : " Amaury, me dit-il, combattez-moi,