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M. de Maistre ne s’était pas cru capable de le peindre.

Je voile ses Lettres sur l’Inquisition (1822) ; on les passerait à peine à un homme d’esprit, très-nerveux, qui aurait été condamné à subir du Dulaure toute sa vie. En insistant outre mesure sur un sujet odieux et pénible que la déclamation avait exploité sans doute, et où peut-être il y avait des amendements historiques à proposer, M. de Maistre a trop oublié que, là où il s’agit de sang versé et de tortures, la discussion extrême, le summum jus a tort. Il est des endroits sensibles de l’humanité qu’il ne faut pas retourner rudement, pas plus que, dans un hôpital, certaines plaies du malade, pour se donner le plaisir de faire une démonstration théorique et anatomique exacte.

On trouve, assure-t-on, chez les casuistes de tous les ordres et de toutes les robes, bien de ces subtilités et de ces saletés que Pascal a dénoncées particulièrement chez les Révérends Pères ; on trouverait, je le crois, dans les greffes des anciens Parlements, beaucoup de ces horreurs qu’on est convenu d’imputer surtout à l’Inquisition ; mais qu’importe ? il est un degré de récidive et d’habitude où l’on endosse très-justement (pour parler comme de Maistre) les délits du voisin, et où l’on paye pour les autres : Escobar ni l’Inquisition ne s’en relèveront.

Pour le Bacon, c’est autre chose, et, si maltraité qu’il ait pu paraître du fait de notre auteur, il est de force à soutenir l’assaut. M. de Maistre n’a pas été amené d’emblée à combattre Bacon, pas plus que Voltaire. Extraordinairement frappé de la Révolution française (il faut toujours en revenir là), l’ayant jugée satanique dans son esprit, il en vint à se retourner contre Rousseau d’abord, puis surtout contre Voltaire, comme étant le grand auteur satanique et anti-chrétien. Quant à Bacon, il y mit plus de temps et de détours ; il aimait évidemment à le lire et à le citer. Cette belle parole du moraliste, que la religion est l’aromate qui empêche la science de se corrompre, lui revient souvent. Pourtant, il