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avec bonheur et produisit la précocité brillante de M. Villemain. M. Guizot lui-même, qui commençait gravement à percer, lui dut sa première chaire[1]. Du Perron, comme Fontanes, était en son temps un oracle souvent cité, un poëte rare et plus regretté que lu ; après avoir brillé par des essais trop épars, lui aussi il parut à un certain moment quitter la poésie pour les hautes dignités et la représentation officielle du goût à la cour. Il est vrai que Fontanes, Grand-Maître, n’écrivit pas de gros traités sur l’Eucharistie, et qu’il lui manque, pour plus de rapport avec Du Perron, d’avoir été cardinal comme l’abbé Maury. Celui-ci même semble s’être véritablement chargé de certains contrastes beaucoup moins dignes de ressemblance. Pourtant il y a cela encore entre l’hôte de Bagnolet et celui de Courbevoie, que la légèreté profane et connue de quelques-uns de leurs vers ne nuisit point à la chaleur de leurs manifestations chrétiennes et catholiques. Le cardinal Du Perron avait, dans sa jeunesse, écrit de tendres vers, tels que ceux-ci, à une infidèle :


M’appeler son triomphe et sa gloire mortelle,
Et tant d’autres doux noms choisis pour m’obliger,
Indignes de sortir d’un courage[2] fidèle,
Où, si soudain après, l’oubli s’est vu loger !

Tu ne me verras plus baigner mon œil de larmes
Pour avoir éprouvé le feu de tes regards ;
Le temps contre tes traits me donnera des armes,
Et l’absence et l’oubli reboucheront les dards.

Adieu, fertile esprit, source de mes complaintes,
Adieu, charmes coulants dont j’étois enchanté :
Contre le doux venin de ces caresses feintes
Le souverain remède est l’incrédulité.

  1. C’est ainsi encore qu’il poussa très-vivement, par un article au Journal de l’Empire (8 janvier 1806), et par ses éloges en tout lieu, au succès du début tout à fait distingué de M. Molé.
  2. Courage, cœur.