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le 24 octobre 1658, dans la salle des gardes au vieux Louvre, en présence de la cour et aussi des comédiens de l’hôtel de Bourgogne, périlleux auditoire, que Molière et sa troupe se hasardèrent à représenter Nicomède. Cette tragi-comédie achevée avec applaudissement, Molière, qui aimait à parler comme orateur de la troupe (grex), et qui en cette occasion décisive ne pouvait céder ce rôle à nul autre, s’avança vers la rampe, et, après avoir « remercié Sa Majesté en des termes très-modestes de la bonté qu’elle avait eue d’excuser ses défauts et ceux de sa troupe, qui n’avoit paru qu’en tremblant devant une assemblée si auguste, il lui dit que l’envie qu’ils avoient eue d’avoir l’honneur de divertir le plus grand roi du monde leur avoit fait oublier que Sa Majesté avoit à son service d’excellents originaux, dont ils n’étoient que de très-foibles copies ; mais que, puisqu’elle avoit bien voulu souffrir leurs manières de campagne, il la supplioit très-humblement d’avoir agréable qu’il lui donnât un de ces petits divertissements qui lui avoient acquis quelque réputation et dont il régaloit les provinces. » Ce fut le Docteur amoureux qu’il choisit. Le roi, satisfait du spectacle, permit à la troupe de Molière de s’établir à Paris sous le titre de Troupe de Monsieur, et de jouer alternativement avec les comédiens italiens sur le théâtre du Petit-Bourbon. Lorsqu’on commença de bâtir, en 1660, la colonnade du Louvre à l’emplacement même du Petit-Bourbon, la troupe de Monsieur passa au théâtre du Palais-Royal. Elle devint troupe du Roi en 1665 ; et plus tard, à la mort de Molière, réunie à la troupe du Marais d’abord, et sept ans après (1680) à celle de l’hôtel de Bourgogne, elle forma le Théâtre-Français.

Dès l’installation de Molière et de sa troupe, l’Étourdi et le Dépit amoureux se donnèrent pour la première fois à Paris et n’y réussirent pas moins qu’en province. Bien que la première de ces pièces ne soit encore qu’une comédie d’intrigue tout imitée des imbroglios italiens, quelle verve déjà ! quelle chaude pétulance ! quelle activité, folle et saisissante d’imagi-