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UN DERNIER RÊVE.


NOTE


UN CANEVAS


(Le rêve était détruit, avant que la pièce songée fût éclose.)

Tout le soir, le piano avait résonné sous des doigts mélodieux, et la jeune voix qui m’est sacrée y avait marié ses plus frais accents. On avait fini, on était levé pour sortir, quand je m’approchai du piano, et m’y asseyant je me mis à faire courir mes doigts à fleur d’ivoire sur toutes les touches, mais comme Camille courait sur la cime des blés, sans presque les émouvoir,

Sans tirer aucun son du blanc clavier sonore.

Sa sœur aînée me vit, et s’approchant avec sourire :

— « Essayez, me dit-elle ; qui sait ? les poëtes savent beaucoup d’instinct ; peut-être savez-vous jouer sans l’avoir appris. »

— « Oh ! je m’en garderai bien, dis-je ; j’aime mieux me figurer que je sais, et j’aime bien mieux pouvoir encore me dire : Peut-être… »

Elle était là, elle entendit, et ajouta avec cette naïveté fine et charmante : « C’est ainsi de bien des choses, n’est-ce pas ? il vaut mieux ne pas essayer pour être sûr. »

— « Oh ! ne me le dites pas, je le sais trop bien, lui répondis-je avec intention tendre et un long regard, je le sais trop et pour des choses dont on n’ose se dire : Peut-être. »