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PENSÉES D’AOÛT.


Il a pleuré de voir ce Rutli des vieux âges,
Perpétuelle source à de durables mœurs,
L’humble chapelle encore au bas des rocs sauvages,
Et le héros toujours salué des rameurs.

Amertume et dédain que les gloires taries,
Quand les mots ont tué toute vertu d’agir,
Quand l’astuce et la peur !… Heureuses les patries
Dont on peut repasser les grands jours sans rougir

Tel donc, ô mes Amis ! au lac, à la montagne
J’allais, cherchant en moi ce qui se retirait ;
Mais quand, las de chercher, au vallon qui me gagne
Je suis venu m’asseoir sous votre toit secret,

J’ai vu la paix du cœur, l’union assurée,
Le saint contentement des biens qu’on a trouvés,
Et les grâces au Ciel pour leur seule durée,
Et le renoncement des autres biens rêvés ;

J’ai vu l’intelligence en sa démarche à l’aise,
Sans s’user aux détours, suivant un but voulu ;
L’étude simple et haute où trop d’essor s’apaise ;
En face des grands monts, Dante parfois relu ;

Parfois, la poésie en prière élancée,
Du même heureux sillon laissant monter deux voix ;
Vos destins s’enfermant, mais non votre pensée,
Et le monde embrassé du rivage avec choix.

Des vrais dons naturels j’ai compris l’assemblage,
La force antique encore et l’antique douceur ;
Et causant d’aujourd’hui, de ce Paris volage,
À table je goûtais le chamois du chasseur.