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LES CONSOLATIONS.

Mais aussi le triomphe immense, universel,
Et tout un peuple ému qui voit s’ouvrir le Ciel.
Et le Poëte saint, puisant au Jourdain même,
De poésie et d’art verse à tous le baptême,
Et partage à la foule, affamée à ses pieds,
Des pains, comme autrefois nombreux, multipliés.
Oh ! ne désertez pas cette belle espérance ;
Sans vous laisser dompter, souffrez votre souffrance ;
Les pieds meurtris, noyé d’une sueur de sang,
Gagnez votre couronne, et, toujours gravissant,
Surmontez les langueurs dont votre âme est saisie ;
Méritez qu’on vous dise Apôtre en poésie,
D’ailleurs, n’avez-vous pas, vous qui venez d’en haut,
Pour raffermir à temps votre cœur en défaut,
De longs ressouvenirs de vos premiers mystères,
Des élévations dans vos nuits solitaires,
De merveilleux parfums, sublimes, éthérés,
Dont vous rafraîchissez vos esprits altérés ?
Ainsi l’Ange d’Amour, qui veille au purgatoire
Près des âmes en deuil, et leur redit l’histoire
D’Isaac, de Joseph, de Jésus le Sauveur,
Pour hâter leur sortie à force de ferveur ;
Si cet Ange clément, consolateur des âmes,
Et pour elles vivant dans l’exil et les flammes,
Sent parfois dans son sein entrer l’âpre chaleur,
Et ses divines chairs mollir à la douleur,
Il se recueille, il prie : au même instant, son aile
Scintillante a reçu la rosée éternelle.

Et puis, un jour, — bientôt, — tous ces maux finiront,
Vous rentrerez au ciel, une couronne au front,
Et vous me trouverez, moi, sur votre passage,
Sur le seuil, à genoux, pèlerin sans message ;
Car c’est assez pour moi de mon âme à porter,