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LES CONSOLATIONS.


XII

À DEUX ABSENTS


Vois ce que tu es dans cette maison ! tout pour tout. Tes amis te considèrent ; tu fais souvent leur joie, et il semble à ton cœur qu’il ne pourrait exister sans eux. Cependant si tu partais, si tu l’éloignais de ce cercle, sentiraient-ils le vide que ta perte causerait dans leur destine ? et combien de temps ?
Werther.


Couple heureux et brillant, vous qui n’avez admis
Dès longtemps comme un hôte à vos foyers amis,
Qui m’avez laissé voir en votre destinée
Triomphante, et d’éclat partout environnée,
Le cours intérieur de vos félicités,
Voici deux jours bientôt que je vous ai quittés ;
Deux jours, que seul, et l’âme en caprices ravie,
Loin de vous dans les bois j’essaie un peu la vie ;
Et déjà sous ces bois et dans mon vert sentier
J’ai senti que mon cœur n’était pas tout entier ;
J’ai senti que vers vous il revenait fidèle
Comme au pignon chéri revient une hirondelle,
Comme un esquif au bord qu’il a longtemps gardé ;
Et, timide, en secret, je me suis demandé
Si, durant ces deux jours, tandis qu’à vous je pense,
Vous auriez seulement remarqué mon absence.
Car sans parler du flot qui gronde à tout moment,
Et de votre destin qu’assiège incessamment
La Gloire aux mille voix, comme une mer montante,
Et des concerts tombant de la nue éclatante