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VIE DE JOSEPH DELORME

moins, à la lecture du recueil, on ne peut guère douter qu’il n’ait secrètement nourri une pensée sinistre.

En nous efforçant d’arracher cette humble mémoire à l’oubli, et en risquant aujourd’hui, au milieu d’un monde peu rêveur, ces poésies mystérieuses que Joseph a confiées à notre amitié, nous avons dû faire un choix sévère, tel sans doute qu’il l’eût fait lui-même s’il les avait mises au jour de son vivant. Parmi les premières pièces qu’il composa, et dans lesquelles se trahit une grande inexpérience, nous ne prenons qu’un seul fragment, et nous l’insérons ici parce qu’il nous donne occasion de noter un fait de plus dans l’histoire de cette âme souffrante. Après avoir essayé de retracer l’enivrement d’un cœur de poète à l’entrée de la vie, Joseph continue en ces mots ;


Songe charmant, douce espérance !
Ainsi je revois à quinze ans ;
Aux derniers reflets de l’enfance,
À l’aube de l’adolescence,
Se peignaient mes jours séduisants.

Mais la gloire n’est pas venue ;
Mon amante auprès d’un époux
De moi ne s’est plus souvenue,
Et de ma folie inconnue
Ma mère se plaint à genoux.

Moi, malheureux, je rêve encore,
Et, poète désenchanté,
À l’autel du Dieu que j’adore
Sous la cendre je me dévore,
Foyer que la flamme a quitté.

Avez-vous vu, durant l’orage,
L’arbre par la foudre allumé ?
Longtemps il fume ; en long nuage
Sa verte sève se dégage
Du tronc lentement consumé.

Oh ! qui lui rendra son jeune âge ?
Qui lui rendra ses jets puissants,
Les nids bruyants de son feuillage,
Les rendez-vous sous son ombrage,
Vos rameaux, la nuit gémissants ?

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