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POÉSIES

Et dans la foule entré, dans la poudre mouvante,
L’un de tous, j’ai payé tribut.

Et ce n’est plus qu’au soir, par la lande secrète,
Sous les rares croissants, qu’au verger désiré,
À l’ermitage en fleurs, Vaucluse du poëte,
J’ai repris le rêve sacré,

Trompant l’œil curieux, le passant qui m’effraie,
Qui, dès qu’il sait sa route à quelque frais réduit,
Passe auprès chaque fois, et secouant la haie,
Réclame, comme un droit, son fruit ;

Non pas au moins, non pas qu’entre tous il vous aime,
Non qu’il vive des sucs arrosés de vos pleurs ;
Car au détour de là, tous fruits, les moindres même,
Lui sont aussi bons ou meilleurs.

Or, si j’étais ainsi, quand, par pudeur pour elle,
La Muse me vouait aux seuls échos des bois,
Qu’est-ce donc à présent qu’un tendre amour s’y mêle
Et qu’un nom tremble dans ma voix ?

Ô sainte Poésie, intime, et qu’il faut taire,
Belle aujourd’hui pour une…, un jour pour quelques-uns ;
Mon secret devant tous, mon orgueil solitaire,
Amour a doublé tes parfums !

Aussi je viens à toi, mais plus timide encore.
De moi laissant au monde un spectre sans chanson,
Une ombre qui sourit : l’âme a suivi l’aurore
Et se renferme en son buisson.

Au loin l’air retentit ; l’orme superbe expose
Mille prix disputés à ses rameaux pendants :