Page:Sainte-Beuve - Poésies 1863.djvu/219

Cette page a été validée par deux contributeurs.
209
DE JOSEPH DELORME.


V


Comment chanter quand l’Amie est en pleurs,
En pleurs ardents, en cuisantes douleurs,
Quand l’insomnie,
À son chevet, comme pour l’insulter,
Chaque nuit, dresse une image bannie.
Comment chanter ?

D’un court sommeil quand un odieux rêve
Toujours l’éveille, et debout la soulève :
Pâleur de mort !
Quand, plus étreint que ce vieillard de Troie,
Sous deux serpents son noble cœur se tord
Comme une proie ;

Tenant sa main que je n’ose baiser,
Dans ma tendresse essayant d’apaiser
Son âpre veine,
Quand j’ai senti passer un brusque effroi,
Et ce beau sein ressaisi d’une peine
Qui n’est pas moi,

Comment chanter ? — Mais si la belle aimée
S’est adoucie et par degrés calmée,
Si sa pâleur
N’est plus qu’un charme où sourit l’amour même ;
Sans s’irriter, si sa molle douleur
Permet : Je t’aime !

Si son regard le plus lent, le plus fin,
Envoie au mien, dans un oubli divin,
L’âme sacrée,