Page:Sainte-Beuve - Poésies 1863.djvu/191

Cette page a été validée par deux contributeurs.
181
DE JOSEPH DELORME.

Des châtaigniers en rond sous le coteau des aulnes ;
Les sentiers du coteau mêlant leurs sables jaunes
Au vert doux et touffu des endroits non frayés,
Et grimpant au sommet le long des flancs rayés ;
Aux plaines d’alentour, dans des foins, de vieux saules,
Plus qu’à demi noyés, et cachant leurs épaules
Dans leurs cheveux pendants, comme on voit des nageurs ;
De petits horizons nuancés de rougeurs,
De petits fonds riants ; deux ou trois blancs villages
Entrevus d’assez loin à travers des feuillages ;
— Oh ! que j’y voudrais vivre, au moins vivre un printemps,
Loin de Paris, du bruit, des propos inconstants,
Vivre sans souvenir ! —

Vivre sans souvenir ! — Mais, ô Muse, prends garde ;
Muse naïve, avant de t’oublier, regarde ;
Le venin du crapaud souille parfois la fleur ;
Quand on gémit, parfois rit un écho railleur.
Regarde, écoute et vois ! — Le sourire à la bouche,
Là-bas, à pas furtifs, l’œil timide et farouche,
As-tu vu dans le bois glisser ce promeneur ?
On dirait que glapit un follet ricaneur ;
C’est ainsi que s’exhale, à lui, sa poésie !
Faux, clandestin, amer, gonflé de jalousie,
Amoureux de la palme et n’osant la saisir,
Et ne pouvant, il ronge et creuse son loisir ;
Au fond de son divan, couché seul et sans joie,
Sans ami, sans maîtresse, et la main sur son foie,
Tantôt pour se distraire il rêve un rêve impur,
Invente en volupté quelque délire obscur,
Et, les falsifiant, combine avec caprice
Ces doux biens que nous fit la Nature nourrice ; —
Ou, regrettant des jours trop affreux une fois,
Tantôt il se provoque à détester les rois ;