Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 8.djvu/86

Cette page n’a pas encore été corrigée

eux auprès de lui un de leurs gentilshommes sans titre, ce qu’ils exécutèrent en effet. Ils y en mirent un sage, sensé, connoissant bien le monde, fort honnête homme et d’une grande valeur, qui s’appeloit La Noue. Ce fut dommage que ce gouverneur ne fût pas si heureux en pupille que le pupille le fut vainement en gouverneur. M. le Duc et Mme la Duchesse, alarmés d’une nouvelle et si grande distinction sur eux, les maréchaux de France, jaloux de leur office, firent un mouvement qui prévint le roi, lequel, journalier à l’égard de ces derniers, tantôt les élevant au delà de leur juste portée, tantôt les raboissant trop, se trouva en tour de les favoriser, ou plutôt enclin à conserver l’égalité entre deux princes du sang, ses petits-fils par ses filles bâtardes, qualité qui l’emportoit de bien loin chez lui sur celle de petit-neveu.

Dans une situation si équivoque, M. le duc d’Orléans parla au roi avec sa négligence trop ordinaire, et il trouva de la résistance qu’il crut pouvoir vaincre. Si en cet instant il eût aposté Besons à la porte du cabinet, et qu’il l’y eût fait entrer, ce qui étoit aisé, je ne crois pas que le roi eût tenu à l’empressement de l’un, et à la facilité de l’autre, par la façon même dont il avoit résisté. Mais cette précaution avoit été négligée, et M. le duc d’Orléans y ajouta la tranquillité d’attendre que le roi trouvât Besons et qu’il lui parlât. Le maréchal, avec qui rien n’étoit concerté sinon la chose même, étoit à Paris où M. le duc d’Orléans ne lui manda rien, quelque chose que je fisse, tellement qu’y étant allé faire un tour plusieurs jours après, j’allai chez Besons, lui dis ce qui s’étoit passé, et le pressai d’aller à Versailles. Il y fut aussitôt, et dès que le roi l’aperçut, il le fit entrer dans son cabinet. Là, il lui rendit en conversation, même froide, ce que M. le duc d’Orléans lui avoit dit, y ajouta des propos gracieux pour le maréchal, mais lui dit bien net qu’il ne vouloit pas mortifier les maréchaux de France, qu’il ne lui commandoit rien, et qu’il le laissoit en sa pleine liberté.