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fille, de la venir voir partir avec elle. La duchesse de La Ferté et Mme de Bouillon s’emportèrent fort aussi, et toute la lie de Paris et du Palais-Royal sans mesure. Les ennemis de M. le duc d’Orléans, particulièrement Mme la Duchesse, et tout ce qui tenoit à elle, prirent un autre tour. Ils semèrent que le roi étoit sa dupe ; qu’à bout du joug, dur, cher et capricieux de sa maîtresse, il s’étoit fait avec lui un faux mérite et un honteux honneur de sa rupture ; que le procédé de l’y avoir fait entrer étoit d’un bas courtisan, raffiné ; que la victime étoit bien à plaindre, mais que bientôt M. le duc d’Orléans, lassé d’une vie raisonnable, prendroit quelque nouvel engagement. Les indifférents et les raisonnables qui firent le plus grand nombre, ne purent refuser leurs louanges à la rupture, leur approbation à la manière. Deux millions leur parurent une libéralité excessive. De laisser Mme d’Argenton dans Paris aux risques de renouer avec elle, au moins de donner lieu tous les jours à le dire et à le croire, leur sembla contre tout bon sens, et impossible de l’en faire sortir par l’autorité du roi, par conséquent de nécessité absolue de lui confier d’abord la rupture, et quant à la manière de l’en faire retirer, ils y trouvèrent tous les ménagements possibles.

Le roi, comme je viens de le dire, revenu de la surprise d’un temps mal pris, se livra à la plus grande joie, et la témoigna dès le lendemain à M. le duc d’Orléans ; il le traita depuis toujours de bien en mieux. Mme de Maintenon n’osa pas n’y point contribuer un peu dans ces commencements, où les jésuites servirent très-bien ce prince, qui se les étoit attachés. Mme la duchesse de Bourgogne y fit des merveilles par elle-même ; et Mgr le duc de Bourgogne, poussé par le duc de Beauvilliers. Monseigneur seul demeura le même qu’il étoit à son égard, continuellement aigri sur l’affaire d’Espagne par Mme la Duchesse et par tout ce qui l’obsédoit avec art et empire. L’espérance de marier la fille aînée de Mme la Duchesse à M. le duc de Berry redoubloit encore