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la femme que celle-ci n’ignora pas. Le duc de Villeroy, qui vint en tiers, le jugea de même. Le récit fut souvent interrompu par les surprises de la duchesse de Villeroy, et par des exclamations.

À son tour, elle me conta après que Mme la duchesse d’Orléans lui avoit dit la veille l’inquiète curiosité où elle étoit de découvrir ce qui se passoit chez M. son mari, dont elle avoit appris l’angoisse, les larmes et l’obsession où nous l’avions tenu Besons et moi ; que sur ce qu’elle (duchesse de Villeroy) lui avoit conté, mais sans en faire cas, le mot que je lui avois dit en sortant de souper avec elle, Mme la duchesse d’Orléans lui avoit dit que, si quelqu’un étoit en état de faire rompre M. son mari avec sa maîtresse, c’étoit moi ; qu’elle avoit souvent essayé par des recherches de m’approcher d’elle et de m’apprivoiser, sans y avoir pu réussir, et cela étoit vrai, et jamais je n’allois chez elle que pour des occasions indispensables de compliments, tellement qu’elle en étoit demeurée là bien aise toutefois qu’un homme d’honneur et d’esprit, duquel, malgré mon éloignement d’elle, elle ne croyoit pas avoir rien à craindre, fût intimement avec M. le duc d’Orléans. Épanouie de sa propre joie, elle m’apprit que celle de Mme la duchesse d’Orléans seroit d’autant plus vive qu’elle étoit plus que jamais accablée d’ennui et de douleur de l’empire insolent de Mme d’Argenton, et des traitements qui en étoient les suites, et plus que jamais hors d’espérance de les voir finir ; que dans le désespoir d’une situation si triste, elle avoit épuisée toutes les voies possibles à tenter de crédit, de conscience, de compassion pour faire chasser Mme d’Argenton, sans que le roi ni Mme de Maintenon s’y fussent laissés entamer le moins du monde ; qu’il ne lui restoit plus aucune espérance de ce côté-là, ni de celui de M. le duc d’Orléans, qui, quelquefois refroidi pour sa maîtresse, n’en devenoit que plus passionné et plus abandonné à elle, de sorte que le désespoir de la princesse n’avoit jamais été plus vif, plus complet, plus sans