Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 8.djvu/451

Cette page n’a pas encore été corrigée

Le jeune Brienne donne, dans ses Mémoires [1], des détails sur cette passion de Mlle de La Mothe pour le marquis de Richelieu, mais sans en indiquer les suites. Nous les apprenons par des lettres anonymes de cette époque : elles sont adressées par une femme de la cour à Pellisson, qui accompagnoit Fouquet en Bretagne.

« Il ne s’est rien passé de considérable en cette cour depuis que vous en êtes parti, que le congé donné à Mlle de La Mothe par la reine mère [2]. Ce fut M. de Guitri qui eut ordre de le lui dire la veille du départ du roi [3]. La reine mère souhaitoit que la chose se fît sans éclat, et que La Mothe se retirât sous prétexte de maladie ou quelque autre raison. Mais elle fut chez Mme la Comtesse [4] le lendemain bon matin, et après avoir appelé Mme de Lyonne au conseil, il fut résolu qu’on engageroit la reine [5] à prier la reine mère en sa faveur. Cette résolution prise, on chercha les moyens d’engager la reine à faire cette prière. On crut que la voie de Molina [6] étoit la meilleure ; on la prit, et l’abbé de Gordes fut dépêché vers elle. Molina promit de s’employer de tout son pouvoir et de faire agir la reine.

« En effet, comme la reine mère revenoit de la promenade, elle fut priée de la part de la reine d’entrer dans son appartement seule, et, y étant, la reine la pria avec des termes pressants de pardonner à La Mothe. Elle lui dit qu’elle savoit bien qu’elle n’aimoit pas la galanterie ; que si, après ce pardon, La Mothe ne vivoit pas avec la dernière régularité, et ne servoit pas d’exemple aux filles de la reine mère et aux siennes, elle seroit la première à prier la reine mère de la chasser. Voyant que toute cette éloquence étoit inutile, elle fit sortir La Mothe tout en pleurs de son cabinet, où elle avoit été enfermée toute l’après-dînée, qui vint se jeter aux pieds de la reine mère, qui, craignant de s’attendrir, ou, comme elle a dit depuis, ne voulant pas lui reprocher sa mauvaise conduite, passa dans le grand cabinet de la reine, et fut entendre une très-mauvaise comédie espagnole.

« Depuis, La Mothe a fait prier la reine mère par la reine de souffrir qu’elle se retirât au Val-de-Grâce ; ce qui lui a été refusé par la

  1. Mémoires de Louis-Henri de Loménie, comte de Brienne, t. II, p. 173, 174 (édit. de 1828).
  2. Anne d’Autriche.
  3. Le roi partit pour Nantes le 1er septembre 1661.
  4. Olympe Mancini, comtesse de Soissons. On prétendait que cette nièce de Mazarin avait voulu donner Mlle de La Mothe pour maîtresse au roi à la place de Mlle de La Vallière.
  5. Marie-Thérèse.
  6. La Molina était une des femmes attachées au service de Marie-Thérèse. Mme de Motteville en parle dans ses Mémoires.