Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 8.djvu/41

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louant la résolution, admirant le courage, plaignant les douleurs, compatissant à tout, incitant à la gloire, réfléchissant sur la solidité, la sûreté, la douceur du repos et du calme après l’orage, fortifiant indirectement ainsi ce prince sans lui adresser la parole pour ne le pas rebuter. Il entra peu dans notre conversation, mais sur la fin il dit encore à Besons qu’il l’avoit trop ménagé, qu’il sentoit bien l’extrême besoin qu’il avoit d’être vivement poussé, et me remercia encore de ma force et de ma liberté à lui parler. Cela m’encouragea à bien espérer, et à l’exciter encore, mais vaguement. Je lui dis seulement que j’avois cru devoir lui représenter nûment toutes les vérités qui m’avoient paru indispensables à lui faire connoître. Peu après il demanda quelle heure il étoit, et il étoit neuf heures du soir. Il voulut à son ordinaire aller voir Monseigneur chez Mme la princesse de Conti. Je lui demandai permission de demeurer dans son entre-sol avec Besons, lui et moi n’ayant point de logement ni où nous entretenir sur pareille matière ; il s’en alla. Je fermai la porte, et le maréchal et moi nous nous rassîmes.

Je lui demandai ce qu’il lui sembloit du succès de notre terrible après-dînée ; il me dit franchement que, nonobstant l’audience demandée, il ne se tenoit sûr de rien, et moi je l’assurai que, encore qu’absolument parlant je n’osasse m’engager à répondre de rien, je trouvois les choses avancées. Nous raisonnâmes sur les étonnants obstacles que nous avions trouvés ; il m’avoua qu’il ne le croyoit presque plus amoureux ; je convins qu’encore que je fusse bien persuadé qu’il l’étoit encore beaucoup, je ne pensois pas que ce combat dût en rien approcher de ce que j’en éprouvois. Je me plaignis à lui en amitié, mais en amertume, du peu de secours qu’il m’avoit donné, et de m’être trouvé dans la nécessité de parler presque seul, et seul de dire les choses les plus dures. Il m’en fit excuse, et m’avoua ingénument qu’il admiroit la force et la hardiesse que j’avois eues, qu’il en avoit bien senti la nécessité, que le succès lui montroit encore