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du jour. Cela me détermina à presser M. [le duc] et Mme la duchesse d’Orléans de faire finir ces longueurs importunes. La dame d’atours étoit toujours le rémora ; Mme la duchesse de Bourgogne et Mme de Maintenon s’étoient butées pour Mme de Cheverny.

Avec tout son mérite elle avoit un visage dégoûtant, dont le roi, qui se prenoit fort aux figures, ne se pouvoit accommoder. Elle et son mari avoient essuyé le scorbut en Danemark, dont peu de gens du pays et beaucoup moins d’étrangers échappent. Ils y avoient laissé l’un et l’autre presque toutes leurs dents, et eussent peut-être mieux fait de n’en rapporter aucune. Ce défaut, avec un teint fort couperosé, faisoit quelque chose de fort désagréable dans une femme qui n’étoit plus jeune, et qui avoit pourtant une physionomie d’esprit. En un mot, ce fut un visage auquel le roi qui en étoit fort susceptible ne put jamais s’apprivoiser. C’étoit son unique contredit qui n’en eût pas été un pour tout autre que le roi. Mme de Maintenon et Mme la duchesse de Bourgogne, qui ne vouloient qu’elle et qui à force de barrer toute autre avoient compté de surmonter cette fantaisie, s’y trompèrent. À force d’attention à saisir toute occasion de lui parler en faveur de Mme de Cheverny elles achevèrent de l’éloigner. Il s’imagina une cabale en sa faveur ; c’étoit la chose qu’il haïssait le plus, qu’il craignoit davantage et où il étoit le plus continuellement trompé. Il le dit même nettement à Mme de Maintenon et à Mme la duchesse de Bourgogne, qui ne purent jamais lui en ôter l’idée. Finalement, lassé de ce combat, il leur déclara qu’il ne pouvoit supporter d’avoir toujours le visage de Mme de Cheverny à sa suite, et souvent à sa table et dans ses cabinets, et se détermina au choix de Mme de La Vieuville, qui fut en même temps résolu.

Dès que cela fut fait, il voulut déclarer le choix de Mme de Saint-Simon, et il le déclara le dimanche matin 15 juin. M. le duc d’Orléans me dit à la fin de la messe du roi qu’il l’alloit faire, et deux heures après il me conta qu’avant la