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du cabinet de Mme la duchesse d’Orléans dès que j’y entrois et avant qu’on le lui dît, et m’avoua qu’elle avoit souvent observé mon visage entrant et sortant de ces conversations.

À un si étonnant récit je ne pus désavouer la vérité des faits, ni m’empêcher de m’écrier sur la facilité de M. son père à lui faire de telles confidences. Tout cela fut coupé par des témoignages de la plus vive reconnoissance dont l’esprit, les grâces, l’éloquence, la dignité et la justesse des termes ne me surprirent pas moins, mêlés d’élans et de trouble de joie qu’elle ne contraignit pas avec moi. Elle me dit que j’avois tout perdu, et qu’elle m’avoit bien regretté une demi-heure auparavant ; que Mme la Duchesse étoit venue avec Mlles ses filles lui faire leurs compliments ; que cette bonne tante avoit essayé de voiler son désordre par une joie si feinte, que la sienne s’en étoit augmentée ; qu’elle lui avoit présenté Mlles ses filles déjà avec un air de respect, en la suppliant de conserver de la bonté pour elles, à quoi elle avoit malignement répondu qu’elle les aimeroit toujours autant qu’elle avoit fait, m’ajoutant en riant de bon cœur qu’elle n’y auroit pas grand’peine. Mme la Duchesse abrégea sa visite en témoignant son regret de n’avoir pas trouvé M. [le duc] et Mme la duchesse d’Orléans à Saint-Cloud, et se retira comme avec avidité de se délivrer d’un état si violent. Mademoiselle me dit qu’elle l’avoit conduite, et malicieusement affecté de lui céder partout la droite et les portes, quoique toutes ouvertes, et que Mme la Duchesse l’avoit si bien senti, qu’elle lui avoit fait des reproches comme d’amitié de ce qu’elle la traitoit ainsi avec cérémonie, dont elle s’étoit donné le plaisir de ne s’en point départir jusqu’au bout.

Elle me conta ensuite comment M. le duc d’Orléans lui avoit appris son bonheur, combien elle avoit été fidèle au secret, enfin le beau message de d’Antin, dont elle se moqua fort, sur lequel elle m’avoit dépêché aussitôt, sachant tout ce que j’y avois fait. On ne peut comprendre le nombre de