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du mal à Mme d’Argenton, cette appréhension me paraissoit absurde ; que séparée d’avec lui, et hors de Paris, qui étoit une seule et même chose, je ne voyois point ce qui lui pouvoit arriver de fâcheux ; qu’il pourvoiroit sans doute à l’aisance de sa vie, outre ce qu’il lui avoit déjà donné ; que la cessation du commerce ne devoit pas emporter celle de la protection ; que le roi même avoit été trop amoureux en sa vie pour n’être pas susceptible de la délicatesse et du devoir de ce procédé ; qu’agir contre Mme d’Argenton en quelque sorte que ce fut, quoique séparée de son neveu, seroit agir contre son neveu même, et le flétrir cruellement, chose bien éloignée d’un rapprochement tendre et sincère, qui étoit l’unique but que je me proposois ; qu’ainsi il étoit clair que Mme d’Argenton n’avoit rien à craindre, mais beaucoup mieux à espérer de la façon que j’avois proposée de recourir et de parler au roi, et qu’à l’égard de l’avantage qu’en retireroit M. le duc d’Orléans, je n’en voulois d’autre juge que lui-même ; quant à l’affaire d’Espagne, que n’étant point de nature à pouvoir en reparler, il ne pouvoit, avec aucune bienséance, dire au roi que Mme d’Argenton y avoit ou n’y avoit point de part ; que son juste et bienséant embarras en parlant au roi sur sa rupture, ne lui permettoit aucun détail ; qu’ainsi lui dire que sa maîtresse étoit cause de ceci et non de cela étant chose ridicule et absurde, et l’ayant en effet et de son propre aveu entraîné dans tout, excepté dans l’affaire d’Espagne, rien n’étoit plus utile, plus dans l’ordre, plus à propos, plus hors de toute atteinte de la moindre blessure de délicatesse et d’honneur, que de parler au roi dans le vague dont je lui avois donné l’idée ; que, si après le roi joignoit dans la sienne l’affaire d’Espagne à tout le reste, comme lui n’exprimoit rien, et moins celle-là que nulle autre, comme il n’en pouvoit, en quoi que ce pût être, arriver ni pis ni mieux à Mme d’Argenton, je ne voyois pas quel scrupule il s’en pouvoit faire, ni pourquoi se priver d’un aussi grand bien que celui de se raccommoder