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enfin que cela lui répugnoit. Je ne me rendis point et voulus me faire entendre, et je dis que ce qui en aucun cas possible ne devoit être fait, c’étoit de tirer son avantage aux dépens d’un autre, beaucoup moins par un mensonge infiniment pis quand cet autre avoit été dans notre liaison, mais qu’ici rien de tout cela. Que la vérité se conservoit entière des deux côtés ; que le dommage étoit nul de l’un, l’avantage infini de l’autre, et que les choses étant exactement ainsi, je n’y voyois nulle matière de scrupule d’honneur, de probité, ni de délicatesse. Ils convinrent tous deux du principe et m’en laissèrent faire l’application. Continuant donc, je demandai au prince s’il pouvoit disconvenir que son amour ne l’eût pas entièrement retiré de tous les devoirs de famille et de tous ceux encore de sujet du roi si principal et si bien traité, pour le jeter dans une vie obscure, retirée, avec un tas de petites gens, parmi des amusements indignes de son rang et de son esprit, dans des profusions qui avoient attaqué les fondements solides de ce que, dans les particuliers, on appelle leur fortune. Je lui demandai s’il pouvoit nier que ce ne fût pas ce même amour qui l’avoit replongé plus avant, et plus continuellement que jamais, dans ces curiosités auparavant bannies de chez lui, et si sinistrement interprétées, et si ce qui s’en étoit justement et véritablement débité jusque par lui-même n’avoit pas donné lieu aux plus fâcheuses augmentations et aux plus funestes interprétations qui s’en étoient faites.

Il m’avoua nettement ces choses, et, sur cet aveu, je pris droit de conclure qu’il étoit donc vrai à la lettre que son amour l’avoit jeté dans les plus grands dérèglements, dans des suites funestes, dans des désordres, dans des malheurs, dans des abîmes ; que non-seulement cela étoit trop vrai, mais trop connu et trop notoire ; qu’il ne diroit donc rien au roi de faux ni de nouveau en lui parlant comme je le lui proposois ; que, conséquemment, rien à cet égard ne devoit l’arrêter ; que, pour ce qui étoit de craindre de faire